Pour la seconde fois, une Big Tech états-unienne a censuré un dirigeant Africain. Après la censure du Président Nigérian par Twitter, Facebook vient de censurer le Premier ministre éthiopien1 .

Au premier abord, il est évident, du point de vue de la déconflictualisation, que les appels à la violence doivent être freinés. Néanmoins, indépendamment de l'analyse de la guerre civile éthiopienne actuelle, le fait qu'une entreprise états-unienne censure un dirigeant africain pose problème. Evidemment, d'une façon générale, ce comportement porte atteinte aux souverainetés africaines. L'ancien Ministre de la propsective togolais, Kako Nubukpo, a d'ailleurs mentionné que la souveraineté numérique fait partie des souverainetés africaines, au même titre que la souveraienté monétaire.

En substance, Abiy Ahmed appelait les éthiopiens à prendre les armes pour contrer l'avance du TPLF, le Front de libération du peuple du Tigré: un article de la BBC cite une traduction de l'appel du Premier ministre éthiopien publiée par Addis Standard : "PM Abiy calls on 'our people' to temporarily hold occasional affairs, organize and march via legal manner to 'prevent, reverse & bury terrorist TPLF'. ". Et RFI indique que la page personnelle du Premier ministre appelait les citoyens à "s’emparer de n’importe quelle arme pour combattre, renverser et enterrer" les rebelles du TPLF.

En pratique, l'appel du Premier ministre éthiopien est comparable à l'appel du 18 juin 19402 lancé au français, dans lequel le général De Gaulle demandait creès clairemenent aux français de prendre les armes contre l'invasion allemande. Il ne s'agit pas ici de compaerr le TPLF  à l'armée allemande, mais juste de remarquer que ce que Facebook reproche à Abiy Ahmed est identique au contenu de l'appel du 18 juin.

Une question importante est donc, si Facebook avait existé en 1940, est-ce que Mark Zuckerberg aurait censuré le général De Gaulle? C'est pourant exactement le pouvoir que s'octroie Facebook aujourd'hui. La communuauté internationale peut-elle accepter qu'une entreprise états-unienne ait un tel pouvoir? Quelle est la légitimité d'une entreprise privée à intervenir dans les affaires internationales? Quels sont les critéères utilisés par cette entreprise pour censurer? Quel est l'impact de l'opinion de ses dirigeants sur ces censures?

Par exemple, la décision de prohiber le pseudonymat des utilisateurs sur Facebook est dûe à la soeur de Mark Zukerberg. A l'époque où elle était Directrice Marketing de Facebook, Randi Zuckerberg souhaitait la fin de l'anonymat sur internet, parcequ'elle estimait que les utilisateurs auraient un comportement plus civique si on les obligeait à utiliser leur vrai nom. Pourtant, cette politique met des vies en danger.

Quoi qu'il en soit, si la censure de certains contenus peut être souhaitable en raison de leur dangerosité ou des dommages qu'ils provoquent, le respect des droits de l'homme impose que les contenus soient au préalable jugés par des juges, et non pas par des opéarateurs privés: la censure privée porte atteinte au droit à un procés équitable.

Facebook prend des décisions qui relèvent des justices établies par les démocraties, ou de la communauté internationale. Dans le cas de l'Ethiopie, le fait qu'une entreprise états-unienne concurrence la communauté internationale devrait interpeller: après tout, la fin de la Société des Nations a bien été accélérée par son impuissance face à l'invasion de l'Abyssinie .

Un autre risque concerne la réputation des Big Tech : Si le Président Trump a été censuré, cela reste après tout une affaire intérieure états-unienne. En revanche les dirigeants étrangers censurés par les Big Tech sont deux dirigeants africains. Les dirigeants de Facebook oseraient-ils par exemple censurer Emmanuel Macron? Ou bien un des candidats à l'élection présidentielle française? Qui sait.

Mais pour l'instant le fait que les seuls dirigeants étrangers censurés soient des dirigeants africains génère un risque image considérable puisque de nombreux acteurs pourraient accuser les Big Tech de racisme ou de cyber-colonialisme.