L’ancienne ministre française Najat Vallaud-Belkacem a récemment proposé de limiter le volume de données utilisables sur internet pour lutter contre les risques informationnels, voire contre le réchauffement climatique. S’agissant du risque climatique, sauf erreur, internet permet précisément le télétravail, dont la généralisation mènerait à une réduction majeure des déplacements quotidiens des Français, et de la quantité de CO2 qu’ils émettent.

Une limitation du volume de données pour limiter la haine ou la désinformation en ligne est techniquement inepte : suivant la nature du contenu (vidéo, audio, image, texte) le volume de données échangées est extrêmement variable. Limiter les usagers à trois gigas par semaine peut certainement diminuer la quantité de vidéos regardées, mais permet de déverser, ou de consulter, des torrents de contenus hostiles ou de désinformation sur Twitter ou Telegram. Contourner cette difficulté obligerait, dans le pire des cas, à différencier la limitation des données par type de contenu, donc à une surveillance du contenu des paquets IP, autrement dit à la matérialisation d'un risque ouverture, ce qui a déjà été débattu lors du développement du routage par deep packet inspection, technique ne pouvant mener qu’à une mutation panoptique d’internet. Le rationnement proposé consiste donc à matérialiser un risque fermeture pour prévenir un risque toxique, solution qui nécessiterait de surcroît la matérialisation d’un risque ouverture.

Le simplisme de la solution proposée est symptomatique d’une inertie institutionnelle persistante à comprendre l'évolution des techniques et des usages d’internet, et d’une certaine incapacité à conceptualiser les risques et menaces informationnels. Cette incapacité est par exemple une cause majeure de l’éviction de Barkhane : durant plusieurs années, les opérations informationnelles menées par la Russie à l’encontre des populations de la bande sahélo-saharienne ont été négligées, malgré les avertissements. Et étaient même simplement inconnues, par exemple par les personnels diplomatiques en Afrique de l’Ouest. Certains acteurs, notamment dans le milieu de la défense, ont ensuite pris en compte cette menace informationnelle, notamment lors de l’affaire du faux charnier de Gossi. Mais si une prise de conscience a bien eu lieu, des inerties sont constatées et regrettées. Un résultat est le recul du concept de démocratie en Afrique.

La nature d’internet est essentiellement transversale, et mène à un enchevêtrement des problématiques : face à cette complexité, le simplisme est la pire des solutions. Des outils conceptuels existent, il suffit de s’y intéresser, de les comprendre, et de les utiliser : cela permettrait d'approfondir les débats, notamment pour mieux adapter la règlementation.

Aujourd’hui les usagers sont pris entre d’une part la guerre de perception menée par le régime russe, et d’autre part un pouvoir de censure détenu par les Big Tech états-uniennes. Cette censure privée a notamment été exercée à l’encontre du Président du Nigeria et du Premier ministre éthiopien, ce qui est considéré comme une forme de cyber-colonialisme. La règlementation européenne prend-elle en compte cette menace ? Un juge états-unien a défendu cette censure privée au motif qu’elle relevait de la liberté d’expression de la société exploitant un réseau social : de quelle liberté d’expression parle-t-on désormais ? Le droit au pseudonymat, qui est une garantie de sécurité, est aujourd’hui menacé, par exemple sur les réseaux sociaux. En France cela a mené à devoir placer une adolescente sous protection policière. Facebook notamment prétend imposer l’usage d’une identité réelle : cette pratique menace la sécurité des usagers, voire leur vie, comme cela a été constaté en Afghanistan. Une évolution du droit permettrait de réduire cette menace. Incidemment, la sœur de Mark Zuckerberg, qui est à l’origine de la politique d’utilisation du nom réel imposée par Facebook, justifiait cette mesure en postulant que cela dissuaderait les comportements inadaptés : là encore, le simplisme mène à la matérialisation d’un risque. S’agissant des opérations de déstabilisation, l’installation d’une ferme de trolls par les Russes directement au sein de la Présidence à Bangui a été révélée : aucune réaction diplomatique n’a pu être observée.

Au lieu de menacer de porter atteinte aux usagers par un rationnement générateur de risques, la responsabilité institutionnelle et politique est de s’armer d’outils conceptuels permettant une meilleure compréhension de la complexité des problématiques, un approfondissement des débats, et la mise à niveau d’une règlementation déficiente.