Pour décrire les problématiques stratégiques complexes, les Cindyniques Relativisées ont étendu les modélisations cindyniques, et formalisé les notions de conflictualité, diversité, uniformités, variances et tolérances. Ces formalisations permettent de mieux conceptualiser le concept de paix, et de montrer en quoi la notion de diversité est plus exigeante. D’un point de vue éthique, elles permettent aussi de mettre en lumière les relations entre la notion d’uniformité et celle d’équité. Ce dernier point est illustré par l’actualité récente, puisqu’il est au centre de l’argumentation du rapporteur public qui vient de plaider au Tribunal administratif de Toulouse pour la reprise des travaux de l’autoroute A69 avant la décision de la cour d’appel.
Au-delà des dissonances : variances et uniformités
Avec le développement des Cindyniques Relativisées, le bestiaire des notions cindyniques s’est significativement enrichi, notamment par la formalisation des notions de conflictualité, variances, tolérances et diversité. Initialement, les Cindyniques considéraient les dissonances, c’est-à-dire les différences entre acteurs observés, comme facteurs de danger, ou de vulnérabilité d’une situation. Cela n’a pas forcément été explicitement précisé, mais il était évident que toutes les différences entre acteurs ne sont pas cindynogènes (i.e. facteurs de vulnérabilité). Cela a donc mené à définir les variances comme les différences non cindynogènes entre acteurs observés, puis à définir les uniformités comme les absences cindynogènes de différences entre acteurs, autrement dit des absences cindynogènes de variances.
Transformation et tolérances
D’un point de vue opérationnel, les Cindyniques visent à transformer une situation réelle, un ensemble d’acteurs réels observés, en une situation idéale (par exemple résiliente), autrement dit, un ensemble d’acteurs idéals. Les Cindyniques Relativisées ont introduit la notion de tolérances, définies comme les différences non cindynogènes entre acteurs idéals. Dynamiquement, la création de tolérances par une transformation permet de réduire les uniformités, donc de créer des variances.
Relativisation et vision stratégique
Les Cindyniques Relativisées naissent d’un constat simple, voire trivial : si j’observe une situation et que je souhaite la transformer d’une certaine façon, d’autres acteurs observent aussi cette situation, et souhaitent aussi la transformer, mais peut-être d’une autre façon. Autrement dit, chaque observateur a sa perception d’une situation (sa perspective) et sa propre estimation de la situation idéale (sa prospective) : une situation relative à un observateur est donc constituée de sa perspective et de sa prospective. Cela mène à observer un ensemble (ou ’spectre’) de situations relatives, ce qui constitue ni plus ni moins qu’une vision stratégique d’un ensemble de perceptions et de transformations souhaitées.
Conflictualité, divergences et disparités de perception
La description d’un spectre de situations permet de mettre en évidence des divergences, définies comme les différences entre prospectives des observateurs, et des disparités, définies comme les différences entre perspectives, ou perceptions, des observateurs. Plus ces divergences et disparités seront nombreuses, plus la situation (ou plutôt, le spectre de situations) aura une propension à provoquer la mise en œuvre de transformations antagoniques, et à alimenter ces transformations : ce qui mène à définir la conflictualité comme cette propension. Le mot conflictualité tend à devenir à la mode, souvent utilisé comme synonyme de conflit, ou d’intensité d’un conflit : ce n’est pas le sens retenu par les Cindyniques, qui considèrent bien la conflictualité comme naissant avant même le déclenchement d’un conflit. Il s’agit bien d’intervenir en amont, par la réduction des divergences et des disparités, pour prévenir les conflits, même si, une fois un conflit déclenché, la réduction des divergences et disparités permet de le faire cesser. Ce qui, au demeurant, met en évidence le rôle majeur de la guerre des perceptions, donc la part d’attention qu’il convient de lui accorder.
Paix et diversité
A priori, la paix serait donc la solution parfaite à atteindre, par la réduction des conflictualités. Mais : conceptuellement, il serait possible d’atteindre une paix reposant sur une absence de divergences et de disparités, mais où tous les observateurs souhaiteraient unanimement une absence de différences entre acteurs, autrement dit une absence de variances. Une telle paix reposerait sur des uniformités généralisées, ce qui constituerait un modèle de société parfaitement dystopique : un monde de clones où aucune différence ne pourrait exister. Cette considération a mené à formaliser la notion de diversité comme une fonction croissant avec les variances et les tolérances, et décroissant avec les divergences, ce qui en fait un concept supérieur, ou plus exigeant que celui de paix en tant que simple absence de conflictualité. Et cela mène à considérer les relations entre les notions d’uniformité et d’équité.
L’équité en pratique : un cas concret de Cindynique environnementale
L’équité est une notion a priori simple, qui renvoie notamment à l’égalité des droits. Pour autant, l’invocation de l’équité peut mener à des uniformités, c’est-à-dire à des absences cindynogènes de différences entre acteurs, donc à la génération de dommages, par exemple dans le domaine environnemental. Et c’est exactement ce qui s’est passé ce 21 mai au Tribunal administratif de Toulouse, où le rapporteur public devait argumenter en faveur de la reprise des travaux de l’autoroute A69 : comme le rappelle Alice Terrasse, trois motifs pouvaient être invoqués pour demander cette reprise. Les deux premiers, le gain de sécurité routière apporté par le projet, ou un hypothétique enclavement qui mènerait à un retard économique ou démographique de Castres, ont été déconstruits. Le rapporteur ne pouvait alors plus qu’invoquer l’équité territoriale pour demander la reprise des travaux avant le jugement de la cour d’appel. Le raisonnement est simple : puisqu’Albi est reliée à Toulouse par une autoroute, alors Castres aurait aussi droit à une autoroute. En l’espèce, l’équité territoriale invoquée justifierait des destructions environnementales permettant la réalisation d’un projet reposant sur le fret routier et les énergies fossiles : d’un point de vue cindynique, cette équité-là constitue une uniformité génératrice de dommages. Ce paradoxe apparent s’explique très simplement par la temporalité : si de tels projets étaient envisageables dans les années 90, ce qui a mené à l’A68 entre Albi et Toulouse, en 2025, soit dix ans après les accords de Paris, ils ne le sont plus. Et au-delà des seuls dommages environnementaux, un risque stratégique à ne pas sous-estimer qui résulterait de cette ‘équité territoriale’ serait celui d’une fracture générationnelle entre des boomers accrochés à des modèles anachroniques, et les nouvelles générations qui devront survivre à la matérialisation du risque climatique.