Le 15 décembre dernier, Facebook, le Stanford Internet Observatory et Graphika annonçaient la fermeture de comptes attribués à des réseaux russes et français, ayant publié des contenus relatifs à plusieurs pays africains, dont, notamment, la Centrafrique.
Ces fermetures de comptes en raison d'opérations informationnelles attribuées à des entités étrangères s'inscrivent dans une situation africaine marquée d'une part par le conflit en Centrafrique et les terrorismes sahéliens, et d'autre part par une volonté russe de retour en Afrique, notamment sur un méridien allant de la Libye au Mozambique ou à l'Afrique du sud, en passant par le Soudan et la Centrafrique.
La stratégie russe s'appuie sur la nébuleuse d'Eugène Prigogine, qui peut être décrit comme le 'Foccarsky' de Vladimir Poutine. Prigogine s'est fait connaître par son implication dans l'Internet Research Agency, dont les trolls ont mené des opérations d'ingérence dans l'élection Etats-unienne de 2016, ou la société militaire privée Wagner, dont les mercenaires sont intervenus en Ukraine, en Syrie, puis en Afrique, par exemple au mozambique ou en Centrafrique.
La fabrication d'un sentiment anti-français sur les réseaux sociaux, destiné à favoriser l'extension de la présence russe en Afrique, a déjà été identifiée et sanctionnée par Facebook, et dénoncée par Jean-Yves le Drian, et par le Président français. Les populations centrafricaines sont les premières victimes de ces opérations de propagande russes génératrices de conflictualités.
Le 15 décembre, Facebook a annoncé la fermeture de 500 comptes dont 84 "liés à l'armée française" en précisant ne pas être capable d'attribuer les comptes français à l'armée française. Sans surprise, plusieurs articles de presse consacrés à ces fermetures ont ensuite présenté l'armée française ou l'Etat français comme responsables d'opérations de "désinformation" en Afrique, ce qui participe à la fabrication d'un sentiment anti-français et génère des conflictualités qui ne peuvent que déstabiliser un peu plus la région. Par ailleurs, la France s'efforçant de mettre un terme à l'évasion fiscale des GAFA en Europe, la neutralité de Facebook peut être questionnée.
A ce stade, le ministère français des armées n'a ni confirmé ni infirmé une responsabilité étatique. Cela étant, quantitativement : 84 comptes français identifiés, et 34 followers pour l'acteur français le plus performant en Centrafrique sont des chiffres qui caractérisent plus un groupuscule d'activistes q'une opération étatique. De plus, même si la nécessité de prise en compte des opérations informationnelles en particulier russes a été affirmée par un rapport de l'ifri en 2018, le risque associé à la mise en évidence d'une opération informationnelle visant des publics africains est d'augmenter le sentiment anti-français en Afrique, ce qui est aux antipodes de l'effet désiré. Et au plan éthique, les opinions publiques, en particulier occidentales, condamneraient probablement des opérations prenant les opinions africaines pour champ de bataille. L'amateurisme que suppose la sous-estimation de ces risques apparaît difficilement compatible avec l'hypothèse d'une opération étatique.
Quoi qu'il en soit, si la lutte contre les opérations de déstabilisation via les réseaux sociaux en Afrique est une nécessité, la souveraineté des pays africains est néanmoins menacée par des plate-formes Etats-uniennes qui concentrent le pouvoir d'enquêter sur la fabrication des opinions publiques africaines, et celui d'influer sur ces opinions via des décisions unilatérales de fermer ou non certains comptes, en fonction de critères privés, commerciaux, et éventuellement opaques, par exemple en période électorale.
Une alternative serait que les décisions de fermeture relèvent des justices africaines concernées, et que les acteurs régionaux soient sensibilisés aux problématiques de risques informationnels et à la nécessité d'une éducation populaire permettant de forger des résiliences face à ces risques.
- Le rapport conjoint de Stanford et Graphika (pdf)
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- "Both Graphika and the Digital Forensic Research Lab have received funding from Facebook."